∞ PASSÉ TROUBLE, AVENIR INCERTAIN

 Nous avons coutume de dire que le deuil est un processus long et douloureux au cours duquel nous franchissons successivement cinq étapes : le choc ou déni, la colère puis le marchandage avant la dépression et enfin… l’acceptation. Le plus souvent, il intervient suite à la perte d’un être cher mais, personnellement, je crois que ce chemin de croix peut être appliqué à bien d’autres situations. Pour ma part, j’ai fait le deuil de ma propre vie. Ou plutôt de ma vie telle qu’elle aurait pu être si certaines choses en avaient été différemment. Si je n’avais pas choisis le camp du Seigneur des ténèbres… Si Potter et ses larbins ne m’avaient pas ridiculisé en public… Si je n’avais pas traité Lily de « sang-de-bourbe »… Si je n’avais pas été réparti à Serpentard… Si ma mère n’avait pas épousé mon moldu de père… Si je n’étais pas né… Si… Si… Si… Ce vieux fou optimiste de Dumbledore vous dirait sans doute que nos choix déterminent ce que nous sommes et que la connaissance de notre passé nous guide dans notre avenir. Foutaises. En regardant par-dessus votre épaule, vous ne verrez jamais rien d’autre que votre passé. Quant à vos choix, ils vous condamnent. Voilà tout. Néanmoins, si vous êtes ici c’est que vous êtes désireux d’en savoir davantage à mon sujet. Aussi, je vous propose de revivre avec moi les cinq étapes de ce deuil.


Je suis né un matin de janvier 1960. Le 9, pour être exact. Je serais bien incapable de vous en dire davantage. On ne parle pas de ces choses-là à la maison. A vrai dire, on ne parle pas de grand-chose. On ne parle pas, on crie. On pleure, aussi, parfois. Mais parler ? Ça, jamais. Je ne cherche pas votre pitié. Mon enfance ne fut pas malheureuse. Le malheur, c’est comme le bien ou le mal. C’est relatif. Lorsqu’on n’a pas de point de comparaison, on croit que ce qui se passe chez nous se déroule aussi ailleurs : les cris, les portes qui claquent, les chaises qui volent, les verres brisés… même les bleus et les égratignures. On se dit que toutes les maisons sont aussi sales et délabrées et que tous les enfants portent des vêtements rapiécés et beaucoup trop grands. Plus jeune, je n’avais pas la sensation de ne pas être aimé. Aujourd’hui, avec le recul, j’en ai honte. J’aurais dû réaliser que mon père tenait moins à moi qu’à sa bouteille de Bourbon ! J’aurais dû voir que ma mère était plus tendre avec ce monstre qu’avec son propre fils ! … Je suis injuste. Maman m’aimait. Du moins, je le crois. Quand elle passait une main dans mes cheveux le soir, lorsque l’Autre était assoupi dans son fauteuil, bien trop soul pour être témoin de cette démonstration d’affection. Bref, je refusais de voir leurs vraies natures. Et puis… Il y avait Lily. Lily, ma charmante voisine. Lily, le soleil de ma vie. Oh, bien sûr, elle ne m’adressait pas la parole. Et je savais bien que son idiote de sœur disait du mal de moi à tout bout de champ. Mais peu importait tant que je pouvais m’allonger des heures dans la pelouse pour l’épier, sentant de temps à autres mes joues s’embraser pour une raison qui n’avait rien à voir avec le soleil du mois d’août. Vous l’aurez compris, à cette époque, j’avais encore confiance en l’avenir. Je refusais de croire que la vie me laissait partir avec un si grand handicap. Jusqu’à ce jour-là…

Citation :

-Maman ! Maman ! Est-ce que je pourrai inviter Lily Evans à la maison pour mon anniversaire ? Tu sais, elle habite à côté et… Maman ? Qu’est-ce que…
-Toi, dégage ! File dans ta chambre !

Ignorant la remarque de l’Autre, je m’avançai lentement dans la cuisine, secoué de légers tremblements. Elle était là, recroquevillée sur elle-même, assis à même le sol, la lèvre inférieure sanguinolente. Et pourtant, lorsqu’elle me vit entrer, elle parvint à articuler un sourire. Ebloui par le courage de cette femme qui se trouvait être ma mère, je sentis mon cœur se gonfler de fierté en même temps que mes traits se déformaient sous l’effet de la colère. La lumière s’éteignit et la vitre la plus proche explosa. Pour la première fois et durant une fraction de seconde seulement, je crus lire de la part dans le regard de l’Ivrogne.

-Alors c’est donc vrai ! bafouilla-t-il avant de se ressaisir. Il est comme toi ! Tu as engendré un monstre ! Vous êtes des monstres ! Vous ne méritez même pas de vivre !

C’est ainsi que prit fin la première étape.


Les souvenirs qu’on chérit le plus sont toujours les premiers à nous échapper. De ces longues heures de discussion avec ma mère au sujet de Poudlard, il ne me reste presque rien aujourd’hui. Néanmoins, je me rappelle très nettement de l’impatience avec laquelle j’ai attendu mon onzième anniversaire. Entre temps, la colère que je nourrissais à l’encontre de mon géniteur avait germé en moi et s’était propagée comme de la mauvaise herbe. Les moldus – je savais désormais que c’était ainsi qu’on les nommait – ne comprenaient donc rien. Ils étaient jaloux, voilà tout. Jaloux de notre don, jaloux ne pas avoir été eux-mêmes choisis. Si Tobias buvait autant, c’était dans l’espoir – vain – d’échapper à la tristesse de sa morne existence. Il en allait de même pour Mr et Mrs Evans, ainsi que pour Pétunia. J’avais toujours su que Lily était différente. Voilà pourquoi je n’avais pas été surpris de l’entendre parler de Poudlard au cours de l’été de notre onzième anniversaire. Elle et moi étions semblables. Nous étions destinés à faire de grande chose.
La colère fit naître en moi l’ambition, le désir de faire mes preuves, d’être le meilleur.

Durant toute la journée passée dans le Poudlard Express je parlai de la maison Serpentard avec une certaine frénésie… et je voyais bien que Lily ne partageait pas mon excitation. Et puis il y avait ce gringalet avec ses lunettes rondes et ses cheveux en bataille qui ne jurait que par Gryffondor… Excellent choix pour ceux qui comptaient faire passer les biceps avant l’intellect. Mais pour ma part, j’avais bien d’autres ambitions.

Si mon cœur manqua quelques battements lorsque le Choixpeau me permit de réaliser mon rêve le plus cher, il cessa complètement de battre lorsque je compris que Lily était promise à un avenir bien différent du mien. Cette crainte ne fit que se renforcer, avec le temps…
Elle avait fait son choix. Elle l’avait choisi, lui, Potter. Oh, bien sûr, les bruits de couloir laissaient entendre qu’elle le détestait et que les soupirs du poursuiveur vedette restaient sans réponse. Mais il se disait aussi qu’ils étaient faits l’un pour l’autre et que la jolie rousse finirait par s’en rendre compte. La cruauté de cette vérité mise à nue ne fit que renforcer ma colère. Et c’était sans compter les attaques incessantes des Maraudeurs, les surnoms, les moqueries, les mauvaises blagues… Maintes fois j’essayai de les faire renvoyer, une fois même au péril de ma vie. Sans succès. Lupin était un loup-garou mais Dumbledore m’avait fait promettre de ne rien dire. Je ne pouvais pas prendre le risque d’être renvoyé chez mon moldu (et ivrogne) de père.

Et puis, un jour, il y eut le mot de trop…

Citation :

« Je n’ai pas besoin de ton aide, espèce de « Sang-de-bourbe » ».

C’était fini. Tout était fini.


Pour la toute première fois, je souhaitai revenir en arrière. Pour la toute première fois, je pris conscience de ce que serait ma vie. En prononçant cette phrase, j’avais choisi mon camp. En prononçant cette phrase, j’avais éloigné de moi la seule personne qui aurait pu être en mesure de me sauver. Désormais, j’étais perdu. C’était comme se retrouver projeté dans le précipice, se raccrocher in extremis à une pierre et se débattre, hurler, crier, supplier tout en sachant que la chute était inévitable, que ce n’était qu’une question de temps.

Dans les semaines qui suivirent, je tâchai de parler à Lily, je la suppliai de me pardonner mais chaque fois, elle partait sans un regard pour moi. Black et Mulciber essayèrent de me raisonner. Marwena aussi. Elle était la seule en qui je pouvais avoir confiance dans mon entourage proche. Elle répétait sans cesse que Lily n’en valait pas la peine, qu’après tout, elle n’était qu’une sang-de-bourbe, rien de plus. Je refusais de l’écouter, trop occupé à trouver un moyen de regagner l’amitié de celle que j’aurais tant voulu pour amante. Tout espoir finit par s’envoler lorsque deux évènements successifs se produisirent. Mulciber décida de tester nos recherches en matière de magie noire sur Mary. Et Potter finit par trouver grâce aux yeux de Lily. Cette fois-ci, tout était bel bien terminé.


Aussi loin que je m’en souvienne, je n’avais jamais tant souffert. Les coups de mon père, les pleurs de ma mère, tout cela n’était rien comparé à la douleur de la perte de ma dernière lueur d’espoir, de mon dernier rayon de soleil. De cette dernière année au château, il ne me reste qu’un souvenir flou, imprécis. J’avais pris la décision de me réfugier dans le travail pour oublier la peine. Jamais mon talent ne s’était manifesté de manière si flagrante en classe de potions. Slughorn était aux anges. Pourtant, je ne me rendais plus aux petites réunions qu’il organisait en l’honneur de ses élèves les plus talentueux, par peur d’y croiser le regard plein de haine de Lily. Voilà donc à quoi se résume mon existence : la peur. Finalement, je suis toujours ce gamin maigrichon dans ses vêtements trop larges qui plaquent ses mains contre ses oreilles pour ne pas entendre les cris de ses parents.

A l’heure où tout le monde faisait des projets pour l’avenir, j’avais du mal à me définir. J’avais décidé d’abandonner le manuel de potions marqué du nom de « Prince de sang-mêlé ». Je n’avais rien d’un Prince. Je n’étais rien d’autre que Snape. Servilus, le crasseux.

C’est à cette période que mes amis et moi commençâmes à nous intéresser à la magie noire. Mulciber lançait des idées et moi, le cerveau du groupe, je les mettais à exécution même si le cœur n’y était pas. Regulus se contentait de ne regarder avec admiration. Lorsque les ASPICs arrivèrent, j’étais soulagé. Je franchis alors les grilles du château sans me retourner.


Beaucoup de gens se demandent comment on décide de venir gonfler les rangs du Seigneur des Ténèbres. Comme je vous le disais, cet ahuri de Dumbledore vous dira, avec sa voix de vieil homme plein de sagesse : « Ce sont nos choix qui déterminent ce que nous sommes, bien plus que nos aptitudes ». Foutaises. Les choix des autres y sont pour beaucoup. Le choix d’un père de battre son fils. Le choix d’un adolescent de martyriser l’un de ses camarades. Ils peuvent bien dire ce qu’ils veulent, Potter et ses amis méritent ce qui leur arrive. Ils méritent de souffrir et de voir mourir leurs proches avant eux. Le rapport de force ne fait que s’inverser. Tout cela n’est que justice.

Ce tatouage sur le bras a quelque chose de rassurant. J’ai l’impression d’appartenir enfin à une famille et d’avoir un mentor qui veille sur moi. J’aimerais vous dire que mon passé est derrière moi et que je ne pense plus à Lily mais c’est faux. J’essaye simplement de l’oublier. Parfois, j’y arrive, pendant quelques minutes, le temps d’une étreinte avec Alecto. Parfois, je me surprends à imaginer qu’il s’agit de ses lèvres, de sa peau, de son parfum… Et chaque fois, le réveil est difficile.

Je me contenterai de vous faire une dernière confidence.

Je n’ai plus rien à perdre ; c’est bien ça qui me rend dangereux.